Lettre de Jean Loret du 11 février 1662,
 écrite après la représentation du Ballet Royal d'Hercule amoureux
qui, lui, a été présenté le 7 février 1662 dans la salle neuve des Tuileries

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Jean Loret commence par rappeler les noms des chanteuses que l'on retrouve souvents dans ces ballets : Merlle Hilaire, Melle de la Barre

 

Le sept du mois, Mardi passé,
Le Ballet du Roi fut dansé,
Mêlé d’un Poème tragique,
Chanté, tout du long en musique,
Par des Gens Toscans et Romains,
La plupart légers de deux grains ;
Et, même, par l’illustre Hilaire,
Qui ne saurait chanter sans plaire,
Et la Barre pareillement,
Dont la voix plaît infiniment,
Et dont la personne excellente
La Beauté même représente
(Assez convenable rôlet)
Dans ce beau Poème, ou Ballet ;
Lequel Poème s’intitule
En Français, Les Amours d’Hercule,
Et dans sa naturalité
Se nomme Ercole Amante.
L’Auteur de ce fameux Ouvrage
Est un excellent Personnage,
Ayant en Cour, à ce qu’on dit,
Réputation et crédit.
Je ne dis rien dudit Poème,
D’autant qu’à mon regret extrême,
Son langage mignard et doux
Ne fut, onc, entendu de nous.

Pour le reste, c’est autre chose,
Toutefois, si parler j’en ose,
Je ne saurais faire autrement
Que jaser généralement
De ce Ballet plus qu’admirable,
Duquel la pompe incomparable
Subsiste six heures durant,
Et qu’on peut nommer dix fois grand,
Soit à l’égard des symphonies,
Qui font de rares harmonies,
Soit pour les Décorations,
Les subtiles inventions,
La dignité des Personnages,
Les Machines dans les nuages,
Les Héros, Déesses et Dieux,
L’Air, la Mer, l’Enfer et les Cieux,
Du Soleil, la Sphère brillante,
Qui parut, tout à fait, charmante,
La richesse et les ornements
Des superbes habillements ;
Bref, les dix-huit grandes Entrées,
La moindre valant vingt bourrées :
Et dont Louis, la Fleur des Rois,
Paraît à la tête de trois ;
Que dis-je, trois ? sans rien rabattre,
Il danse, pour le moins, dans quatre,
Se faisant (sans exagérer)
Dans toutes les quatre admirer.
Il représentait en sa danse,
En l’une, la Maison de France ;
Puis Pluton, Mars et le Soleil,
Le dernier dans un appareil
Assez conforme à la manière
Que l’on peint ce Dieu de lumière :
Mais, surtout, furent admirés
De son chef les cheveux dorés,
Agencés d’une main habile,
Et d’une façon si subtile,
Que jusqu’à présent nul Mortel
N’avait admiré rien de tel ;
Notre cher Porte Diadème
Le prisa fort, dit-on, lui-même,
Et tous les Gens de qualité
Etant près de Sa Majesté.

L’Autrice de ce bel Ouvrage,
Femme spirituelle et sage,
S’appelle Madame Touzé,
Nom digne d’être éternisé,
Puisqu’elle est au Monde l’unique
Capable de telle fabrique ;
Et comme elle n’avait souci
De travailler, jusques ici,
Qu’à faire d’admirables tresses
Pour Prélats, Princes et Princesses,
On peut dire avec vérité
Que la rare dextérité
De cette Ouvrière inimitable,
Part un sort assez honorable
De son art plus qu’industrieux,
En sait faire aussi pour les Dieux.

En ce Ballet que nul n’égale,
Dont la dépense est si Royale,
Monsieur que Dieu conserve, amen,
Représente, en dansant, l’Hymen.
Monseigneur le Prince, Alexandre ;
Et c’était assez bien l’entendre
Que lui donner ce grand Nom-là,
Chacun approuvant fort cela.
Monsieur le Duc, son cher Ouvrage,
D’Amour, y fait le Personnage.
Monsieur de Guise, Jupiter.

Ici, je ne puis débiter
Les Noms des Danseurs de remarque
Du Ballet de notre Monarque,
Le nombre en est trop étendu,
Maint rang y serait confondu ;
Et je pourrais, par ignorance,
M’abuser sur la préséance.
Mais, pour le Sexe précieux,
Le cher paradis de nos yeux,
Comme leur nombre est beaucoup moindre,
Je veux, ici, toutes les joindre,
Chaque Nom étant exprimé
Selon l’ordre de l’Imprimé ;
Le tout avec des Vers faciles,
Et non pas des pointes subtiles :
Car quand on fait des in promptus,
Rarement les Vers sont pointus.

Au premier rang, il est bien juste
De mettre notre Reine auguste,
Dont l’agréable Majesté
Est un modèle de Beauté.

Il faut insérer après Elle
Avec raison, Mademoiselle,
Dont les illustres qualités
Ont du renom de tous côtés.

Deux charmantes Fleurs de jeunesse,
Sœurs de la précédente Altesse,
Savoir Alençon et Valois,
Extraites du Sang de nos Rois.

De Soissons, la Comtesse aimable,
Dont la grâce presque adorable
A des charmes et des appâts,
Que toutes les Belles n’ont pas.

D’Armagnac, cette autre Comtesse,
Qu’on prendrait pour une Déesse,
Et qui, dès l’âge de douze ans,
Ravissait Cour et Courtisans.

Deux jeunes Sœurs belles et sages,
Qui charment tout par leurs visages,
Mesdemoiselles de Nemours,
Dignes des plus nobles amours.

L’incomparable de Luynes,
Dont les beautés, quasi divines,
Font infinité d’Amoureux,
Mais ne font qu’un seul Homme heureux.
Sully, Duchesse des mieux née,
De quantité d’appâts ornée,
Et dont le Père, assurément,
Fut Homme de grand jugement.

Créquy, cette belle Personne,
Qui quoi que Femme est si mignonne,
Qu’en son visage triomphant
On voit encore un teint d’enfant.

La jeune Comtesse de Guiche,
Douce, agréable, belle et riche,
Ayant, par bonheur singulier,
Pour Aïeul un Grand Chancelier.

Rohan, admirable Pucelle,
Si noble, si sage et si belle,
Que quiconque l’épousera,
Un grand Trésor possédera.

Mortemar, qu’on tient sans pareille,
Jeune et ravissante à merveille,
De prudence, d’honnêteté,
D’esprit, de grâce et de beauté.

Des-Autels, Fille de la Reine,
Fort aimable, mais inhumaine,
Qui tient en Cour fort bien son rang,
Et qui vient d’un fort noble Sang.

Ces Belles, tant Femmes que Filles,
Représentaient quinze Familles
Toutes pleines d’honneurs divers,
Des plus grandes de l’Univers,
Et, certainement, leur Entrée
De tant de grâces illustrée,
Du grand nombre des spectateurs
Fit presque autant d’admirateurs.

Ô Chers Lecteurs, dans ces Vers nôtres,
Je ne saurais parler des autres,
Qui firent, toutes, grand effet ;
Mais ce ne serait jamais fait.

Celles de Diane et de l’Aurore,
Selon ce que j’en remémore,
Que dansent Giraut et Verpré,
Sont ravissantes à mon gré,
Ce sont deux aimables spectacles,
Car l’une et l’autre y font miracles.

Celle des Etoiles plût fort,
Et chacun demeura d’accord
Que ces agréables Fillettes ;
Avec tambours et castagnettes,
(Toutes quinze) ne pouvaient pas
Réussir avec plus d’appâts,
Chacune étant des mieux parée ;
Et ce fut la dernière Entrée,
Qui donna grand contentement,
Et conclut admirablement.

Lecteurs, vous apprendrez le reste,
Dans le journal, ou Manifeste, ;
Que Balard en a recueilli,
Où de mettre il n’a pas failli,
Comme pour première parade,
Les beaux Vers du Sieur Bensérade,
Non seulement divertissants,
Mais infiniment ravissants ;
Voilà, donc, une affaire close,
Et je vais parler d’autre chose.

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