Lettre de Robinet du 23 février 1669,
 écrite après la représentation du Ballet Royal de Flore
qui, lui, avait été présenté le 13 février 1669

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 J’eus, l’autre jour, mauvaise grâce
D’avoir promis dans ma Préface
Des merveilles sur le Couplet
Du grand et florissant Ballet,
Et je fis, touchant cette Corde,
Ainsi que font, dans leur Exorde,
La plupart de nos Orateurs,
Qui promettent aux Auditeurs
Plus qu’ils ne tiennent d’ordinaire.

Mais pardon, Lecteur débonnaire.
Laissant toute Nouvelle à part,
Soit bien, soit mal, à tout hasard,
Par ce beau Ballet je débute,
Sans qu’en un mot je me rebute
Par la grandeur de mon Sujet,
Le digne et glorieux Objet
De la MUSE de BENSERADE,
Lequel jamais ne se dégrade
Dedans un Champ d’Honneur si beau,
Quoi qu’il en dise en son Rondeau,
Mais y fait voir nouvelle grâce,
Ainsi qu’un Maître du Parnasse,
Où quand il forge es Vers neufs,
L’Illustre pont dessus ses Œufs.
Mais entrons, nous, vite en matière,
Et fournissons notre Carrière.

Comme notre grand POTENTAT
Ne fait rien qu’avec un éclat
Particulier à tous ses Gestes,
Beaucoup moins humains que célestes,
Ce Ballet, d’un à l’autre bout,
Est brillant et pompeux partout,
Et l’on peut dire sans qu’on erre
Qu’en la Paix, comme dans la Guerre,
LOUIS n’a non plus son pareil
Qu’en trouve l’unique Soleil.
Aussi ne font-ils rien qu’un même
Dedans ce Spectacle suprême,
Puisque cet admirable ROI
L’y représente, en noble arroi,
Chassant, dans la première Entrée,
L’Hiver glacé, de la Contrée,
Par ses Rayons tout éclatants,
Et rappelant en même temps
La riante et brillante Flore,
Que le tendre Zéphire adore.

MADAME, qui, par son Teint frais
Et par tous ses jeunes Attraits,
Ressemble plus à la Déesse,
Sans la bienheureuse Grossesse,
Aurait été là, trait pour trait,
Son incomparable Portrait ;
Mais, au défaut de son Altesse,
De SULLY la belle Duchesse
Tient illec son illustre Rang,
Par un honneur tout à fait grand,
Et forme la seconde Entrée,
Ayant pour sa Troupe admirée
La Jeunesse, avec la Beauté,
L’Abondance et Félicité,
Que représentent quatre Belles,
Que l’on peut bien prendre pour Elles,
Et chacune séparément
Pour toutes quatre mêmement.
On voit aussitôt les Naïades,
Avecque les Vertes Dryades,
Qui viennent faire, tour à tour,
À l’aimable Flore leur cour ;
Et ce sont encor sept Personnes,
Bonne foi, tout à fait mignonnes,
Ayant des Appâts à foison
Pour mettre un Cœur à la raison ;
Aussi cette troisième Entrée
Est-elle fort considérée.

Celle qui suit, est du Printemps,
Que désigne un Duc de vingt ans,
Lequel, par une heureuse Chance,
Est le Mari de l’ABONDANCE ;
Et ce Printemps, si verdoyant,
Si beau, si sage, et si ruant,
Mène deux Amours à sa suite,
Qui sont d’un excellent mérite
Et même d’un royal estoc,
Aimant fort le belliqueux choc.

Dans la cinq et sixième Entrée,
Qui grandement l’Esprit récrée,
Des Bouquetiers et des Galants,
Tout à fait lestes et brillants,
Paraissent, ayant vent en poupe,
Et Comus se joint à leur Troupe.
Empruntant le visage et l’air
D’un brave Seigneur, Duc et Pair,
Qu’on peut prendre aussi pour lui-même,
Tant leur ressemblance est extrême.

Les Esclaves et Débauchés,
De qui riraient les plus fâchés,
Font après cela deux Entrées,
En Cervelles évaporées,
Et, par des Musiciens triés,
Font donner à deux Mariés
Une Charmante Sérénade,
Qui les fait joindre à leur Ballade,
Et forment une Entrée aussi,
Laquelle est la neuvième ainsi.

Dedans la dixième, l’Aurore
Arrose les Jardins de Flore,
Ainsi que, dans celle d’après,
Les Heures y viennent exprès
Cueillir mille Fleurs pour les Grâces ;
Et puis l’on y voit sur leurs traces
Vénus, qui se plaint tendrement
Du Trépas de son cher Amant.

L’Intendant des Jardins, Vertumne,
Aussi, l’Amoureux de Pomonne,
En la douzième se fait voir,
Comme il fit pour la décevoir.
Avecque toutes les Figures
Qui déguisaient ses impostures ;
Et, dans la Treizième, Pluton,
À l’aide de maint grand Démon,
Enlève Dame Proserpine,
Diablesse d’agréable Mine.

Les Six Héros changés en Fleurs
De toutes sortes de couleurs,
Forment la quatorzième Entrée,
Autant qu’aucune autre admirée,
Et comme chacun d’eux prétends
Que sa Fleurs ait le premier Rang,
Jupin survient dans leur Discorde,
Lequel tout soudain les accorde
En leur remontrant que le Prix
N’est dû qu’aux seules FLEURS DE LYS.
Après quoi, ce même Dieu chante,
D’une manière bien charmante,
Ainsi qu’avec lui le Destin,
Un Air, de louanges tout plein
Pour le MONARQUE et pour MADAME,
Ces Dieux, empruntant lors la Gamme
De deux modernes Amphions
Dont on admire les fredons.

Enfin l’on aperçoit un Temple,
D’une structure sans exemple,
Qui se bâtit en un moment,
Ainsi que par enchantement ;
Et, là, les Quatre Parts du Monde,
Dans une humilité profonde,
Rendent ensemble leurs respects
À ce divin Recueil d’Attraits,
Cette belle et royale ALTESSE
À qui mes Missives j’adresse.
Des Faunes y viennent aussi,
Et le Ballet finit ainsi
Par cette quinzième Entrée,
Du MONARQUE encor illustrée,
Désignant un Européen,
Que partout on connaît fort bien,
Et le plus grand, sans que je chope,
Qui soit dedans la vaste EUROPE.

Voilà, pour les Provinciaux,
Ce que nos petits Vermissaux,
Par épitome, peuvent dire
De ce Ballet de notre SIRE,
Et que l’on a trois fois dansé,
Cela s’entend, en la Présence
De la belle REINE de FRANCE
Et de son DAUPHIN, si charmant,
Qu’on ne peut voir conjointement
Que, pour le certain, il ne semble
Voir Vénus et l’Amour ensemble. 

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